Coupures de presse
Le sujet de la presse écrite fait partie de mes préoccupations sur les plans visuel et théorique depuis plus de 40 ans, à la suite de mes études en communications et de mes premiers travaux de recherche dans ce domaine. Depuis le début des années 80, j'ai amassé une collection considérable d'images et de textes tirés de journaux et de revues. Il est possible de traiter le journal ou la revue comme des artefacts culturels, comme des outils de prise de conscience. Les découpures sont choisies comme autant de « motifs » qui sont isolés, étudiés et mis en valeur pour faire apparaître de nouvelles significations, permettant de procéder à un examen critique des images et des textes, notamment sur les questions du pouvoir, de la violence et de l'identité masculine. En effet, comment se situer aujourd'hui par rapport à la presse écrite, à une époque globalisante de surproduction et de dramatisation de l'information? Comparés au caractère éphémère de la transmission radiophonique, télévisuelle ou informatique, le journal et la revue en format imprimé constituent les seules nouvelles qui font encore « objet ». Ce sont des technologies « pauvres », mais qui, comme le livre imprimé d'ailleurs, subsistent encore malgré toutes les alternatives qui leur sont contemporaines. Et pourtant, par sa fragilité même, le journal incarne aussi le caractère éphémère de l'actualité, ce mince espace entre hier et demain.
Le projet de gravure « Tendresses » (2002) et la série « Coupures de presse » (1996-1998) sont en continuité directe avec mon installation « Un mur d'hommes » (1990-1992), un assemblage mural des images tirées de journaux et de revues, toutes centrées sur la représentation masculine. J'ai ensuite cherché un moyen d'assurer une plus grande durabilité à ce type de proposition, et la technique du chine collé (l'image est imprimée sur un papier oriental collé sur une plus grande feuille) s'est avérée idéale, puisqu'elle conserve à l'image son caractère découpé, flottant.
« Tendresses » propose une collection de paires d'hommes dans des situations de tendresse ou de proximité physique. Par l'accumulation de ces images qui passent souvent inaperçues, ou qui semblent être acceptées par tous, je veux insister sur le fait que la tendresse peut et devrait s'exprimer entre hommes, selon une gamme variée de sentiments qui vont de la camaraderie à l'amitié, jusqu'au rapport d'engagement amoureux. En vertu d'une phénoménologie de la lecture des images et des textes, de notre manière de percevoir les informations et de les relier à notre expérience personnelle, je veux amener le spectateur à prendre conscience de cette réalité souvent occultée de la tendresse au masculin. Réapprendre cette tendresse ferait assurément évoluer les rapports entre hommes, et les rapports sociaux en général.
- Denis Lessard
Photos : Patrick Mailloux